Diriger une société est devenu un métier à hauts risques, très exposé et plutôt périlleux.
En effet aux risques
traditionnels d’ordre économiques et financiers auxquels les dirigeants sociaux
doivent faire face s’ajoute, dans un contexte de plus en plus réglementé, toute
une série de zones rouges d’ordre juridique dont le franchissement occasionne
inéluctablement la mise en œuvre de leur responsabilité.
La prolifération de nombreuses
règles de droit dans les différentes matières entourant l’entreprise multiplie
le risque de transgression et la responsabilité des dirigeants peut aussi bien être
encourue pour un simple retard de livraison, que pour une faute de gestion, une
fraude fiscale, ou encore le non-respect des règles d’hygiène et de sécurité.
Les dirigeants des sociétés
anonymes, face aux nombreuses obligations résultant de la multiplication des
textes normatifs et à défaut de cerner l’ensemble des risques encourus se retrouvent souvent d’une manière ou d’une
autre fleurtant avec l’illégalité.
En vue d’assurer une prévention
efficace des risques, il s’agit dans un premier temps de les identifier pour
mieux les gérer, seule condition d’un management respectueux des différentes
prescriptions légales sans être figé par la peur de les transgresser.
Par conséquent, il serait
pertinent de passer en revue les différents risques de nature à enclencher la
responsabilité des dirigeants qu’ils soient issus du droit des sociétés (I) ou
de la législation fiscale (II).
I.
Les
risques nés du droit des sociétés :
Dans l’exercice quotidien de
leur mission de gestion de la société,
les dirigeants peuvent être amenés à commettre des erreurs pouvant entrainer
des conséquences plus ou moins graves.
Ainsi, les dirigeants de la
société anonyme soient, ses administrateurs, les membres du directoire ou du
conseil de surveillance doivent faire face à des risques résultant de la mise
en œuvre de leur responsabilité civile (1), pouvant être aggravée en cas
de procédure de redressement ou de liquidation judiciaire (2), mais
aussi à un véritable risque pénal (3).
1) Les risques résultant de la mise en œuvre de la responsabilité
civile des dirigeants
En vertu de l’article 352 de la
loi sur la société anonyme, les administrateurs, membres du directoire ou du
conseil de surveillance peuvent se voir reprocher individuellement ou
solidairement par les actionnaires de la
société ou les tiers, trois types d’agissements :
·
La violation des
dispositions législatives ou réglementaires
Ainsi, tout manquement à une
prescription légale ou réglementaire applicable aux sociétés anonymes constitue
une occasion de la mise en œuvre de la responsabilité civile du dirigeant et
par conséquent constitue un risque pour lui.
Il peut s’agir notamment du non-respect
des dispositions concernant la tenue des assemblées générales (défaut de
convocation de l’assemblée annuelle, non-respect des règles de majorité et de
quorum, défaut de formalité de publicité,....) ou relatives au fonctionnement
du conseil d’administration (non-respect des dispositions applicables aux
conventions réglementées, établissement d’un acte excédant les pouvoirs du
conseil d’administration....).
·
La violation des statuts :
L’inobservation des
prescriptions statutaires expose également les dirigeants au risque de la mise
en œuvre de leur responsabilité.
Ainsi, ne pas tenir compte des
stipulations limitant les pouvoirs du conseil d’administration ou prévoyant une
affectation déterminée des bénéfices sociaux est susceptible d’engager la
responsabilité civile des dirigeants.
·
La faute de gestion
La loi sur la société anonyme
se contente de mentionner cette faute sans aucune précision supplémentaire ce
qui laisse supposer que la faute de gestion n’est pas subordonnée à l’existence
d’une faute volontaire des dirigeants.
En vue de mieux identifier ce
qui pourrait être considéré comme une faute de gestion, la jurisprudence française
est à cet égard parlante et trois catégories d’agissements se dégagent.
Il s’agit des :
*Agissements volontairement
contraires aux intérêts de la société, par exemple le fait de participer au
financement abusif d’une société par une autre (Chambre de cassation) ;
*Faute d’imprudence telles que
le prêt de fonds sociaux dans des conditions telles que le remboursement paraît
improbable (Chambre de cassation) ;
*Faute de négligence, comme
l’absentéisme, le défaut de surveillance des dirigeants sociaux.
Il est à signaler que
conformément au droit commun, la responsabilité ne peut être engagée que s’il
est établi que la faute commise entraine un préjudice et qu’il existe une
relation de cause à effet entre cette faute et le préjudice.
Le dirigeant ayant commis l’une
de ces fautes risque de voir engagées à son encontre deux types d’actions ayant
pour objet la réparation du préjudice subi :
*Une action individuelle des
actionnaires qui l’exercent en leur nom personnel en vue de réparer le
préjudice causé à chacun d’eux ;
*Une action sociale des
actionnaires pouvant être intentée individuellement ou en se groupant afin de
solliciter la réparation du préjudice subi par la société.
Enfin, la seule manière de se
prémunir contre ces risques est, sans aucun doute, de s’abstenir de commettre
ces fautes car les clauses limitant l’exercice de l’action en responsabilité
sont prohibées en vertu de la loi sur les sociétés anonymes qui prévoit
que : « Est réputée non écrite toute clause des statuts ayant pour
effet de subordonner l’exercice de l’action sociale à l’avis préalable ou à
l’autorisation de l’assemblée générale, ou qui comporterait par avance
renonciation à cette action ».
2) La responsabilité civile aggravée en cas de redressement ou
de liquidation judiciaire
Le code de commerce aggrave la
responsabilité du dirigeant en cas de procédure de redressement ou de
liquidation judiciaire et les risques encourus dans ce cas sont considérables
puisque le dirigeant peut être condamné au comblement du passif, à l’extension
de la procédure à ses propres biens, à la déchéance commerciale et à des peines
de nature pénale très graves comme l’emprisonnement.
·
Le comblement du passif peut être
ordonné aux dirigeants dont la gestion a contribué à créer une insuffisance
d’actif et envers qui une action est engagée dans ce sens.
Pour cela, la commission d’une
faute de gestion par le dirigeant doit être prouvée par la violation des règles
légales ou statutaires, imprudence, mauvaise comptabilité, poursuite d’une
activité déficitaire, ainsi que l’existence du préjudice qui est l’insuffisance
d’actifs et le lien de causalité entre la faute et ce préjudice.
·
L’extension du
redressement ou de liquidation judiciaire au dirigeant
Le code de commerce prévoit un
ensemble de faits pouvant entraîner l’ouverture d’une procédure de redressement
ou de liquidation judiciaire à l’égard d’un dirigeant, notamment :
*L’utilisation des biens de la
société comme les siens ;
*La poursuite abusive, dans un intérêt
personnel, d’une exploitation déficitaire et qui ne pouvait conduire qu’à la
cessation des paiements de la société ;
*La tenue d’une comptabilité
manifestement incomplète ou irrégulière.
·
La déchéance commerciale
De même, le code de commerce
stipule que le dirigeant risque d’être affecté de déchéance commerciale et se
voir interdire de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou
indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, et toute société
commerciale ayant une activité économique.
Cette déchéance peut être
prononcée à l’encontre du dirigeant qui a par exemple :
*Exercer une activité
commerciale, artisanale ou une fonction de direction ou d’administration d’une
société commerciale contrairement à une interdiction prévue par la loi ;
*Omis de faire, dans le délai
de quinze jours, la déclaration de l’état de cessation de paiements ;
*Procéder de mauvaise foi, au
paiement d’un créancier au détriment des autres créanciers pendant la période
suspecte.
·
Les sanctions pénales
Le code de commerce stipule
qu’en cas d’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation
judiciaire, le dirigeant peut même être sanctionné pénalement pour «
Banqueroute » et ce en cas de commission des faits suivants :
*Avoir effectué des achats en
vue d’une revente au-dessous du cours ou employé des moyens ruineux pour se
procurer des fonds dans l’intention d’éviter ou de retarder l’ouverture de la
procédure de traitement ;
*Avoir détourné ou dissimulé
tout ou partie de l’actif du débiteur ;
*Avoir frauduleusement augmenté
le passif du débiteur ;
*Avoir tenu une comptabilité
fictive ou fait disparaitre des documents comptables de l’entreprise ou de la
société ou s’être abstenu de tenir toute comptabilité lorsque la loi en fait
l’obligation.
Les dirigeants déclarés
coupables de banqueroute sont passibles d’une sanction pénale d’une extrême
gravité puisqu’il s’agit d’une peine d’emprisonnement et d’une amande ou de
l’une de ces deux peines seulement.
D’ailleurs cette peine est
portée au double lorsque le banqueroutier est dirigeant, de droit ou de fait,
d’une société dont les actions sont cotées à la bourse des valeurs.
3) Le risque pénal
La loi relative à la société
anonyme se caractérise par une inflation de sanctions pénales réprimant les
agissements des dirigeants sociaux.
Ainsi, et du fait de la nature
même de ces sanctions, le risque pénal est incontestablement le plus périlleux
et nécessite une vigilance particulière en vue de le prévenir et de l’éviter.
A côté des délits de droits
commun pouvant être commis par les dirigeants comme l’escroquerie, l’abus de
confiance, etc..., quatre délits majeurs engageant la responsabilité pénale particulière
des dirigeants au titre de la direction et de l’administration de la société
sont prévus par la loi sur la société anonyme et sont passibles d’un
emprisonnement et d’une amende ou de l’une de ces deux peines seulement.
Il s’agit de :
·
La distribution de
dividendes fictifs de la part des dirigeants qui, en l’absence
d’inventaire ou au moyen d’inventaires frauduleux, auront, sciemment, opéré
entre les actionnaires la réparation de dividendes fictifs ;
·
La présentation ou
publication de comptes sociaux infidèles
Se sont rendus coupables de
cette infraction, les dirigeants sociaux qui auront sciemment publié ou
présenté aux actionnaires, en vue de dissimuler la véritable situation de la
société, des états de synthèse annuels ne donnant pas, pour chaque exercice,
une image fidèle du résultat des opérations de l’exercice, de la situation financière
et du patrimoine, à l’expiration de cette période.
·
L’abus de biens sociaux
ou du crédit de la société.
Il concerne les dirigeants de
mauvaise foi, qui ont usé des biens ou du crédit de la société, d’une manière
qu’ils savaient contradictoires avec les intérêts économiques de celle-ci et
ce, à des fins personnels ou en vue de favoriser une autre société ou
entreprise dans laquelle ils étaient intéressés directement ou indirectement.
·
L’abus des pouvoirs ou
de voix
De même la loi sur la société
anonyme réprime les dirigeants qui, de mauvaise foi, auront fait des pouvoirs
qu’ils possédaient ou des voix dont ils disposaient, en cette qualité, un usage
qu’ils savaient contraire aux intérêts économiques de la société, à des fins
personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle
ils étaient intéressés directement ou indirectement.
II.
Les
risques nés de la législation fiscale et sociale
A côté des risques prévus par
la législation applicable aux sociétés anonymes, le dirigeant doit tenir compte
notamment des risques encourus en matière fiscale (1) et sociale (2).
1) Le risque fiscal
Les dirigeants s’exposent, dans
leur relation avec l’Etat, à des risques d’ordre fiscal assez lourds puisque
l’arsenal législatif en vigueur consacré par le livre des procédures fiscales
prévoit la mise en cause des dirigeants en matière fiscale.
·
Fraude fiscale
Les lois relatives à l’impôt
sur les sociétés, à l’impôt sur les revenus, et à la taxe sur la valeur
ajoutée, prévoient qu’est coupable de fraude fiscale toute personne qui, en vue
de se soustraire à sa qualité de contribuable ou au paiement de l’impôt ou en
vue d’obtenir des déductions ou remboursement indus, utilise l’un des moyens
suivants :
*Délivrance ou production ce
factures fictives ;
*Production d’écritures
comptables fausses ou fictives
*Vente sans factures de manière
répétitive ;
*Soustraction ou destruction de
pièces comptables légalement exigibles ;
*Dissimulation de tout ou
partie de l’actif de la société ou augmentation frauduleuse de son passif en
vue d’organiser son insolvabilité.
Cette infraction, bien qu’ayant
un caractère fiscal, est réprimé pénalement d’une amende et d’une peine
d’emprisonnement
·
Procédure de mise en
œuvre
Une fois les agissements
précités établis, l’administration doit prouver le lien de causalité entre
ceux-ci et l’impossibilité de recouvrer l’impôt. A cette occasion, le juge vérifiera
que les services fiscaux ne sont pas pour partie responsable de l’impossibilité
de recouvrer l’impôt en n’ayant pas fait les contrôles dans les temps et
ensuite en n’ayant pas fait tous les actes de poursuites qui s’imposaient.
En effet, la responsabilité des
dirigeants n’est pas de droit, c’est une juridiction qui doit l’ordonner dans
le cadre d’une procédure bien spécifique.
Cette procédure pour
l’application des sanctions aux infractions fiscales a été instituée par le
livre des procédures fiscales, et prévoit la chronologie suivante :
·
Constatation de
l’infraction
L’infraction fiscale en
question est constatée par procès-verbal établi par deux agents de
l’administration fiscale, ayant au moins le grade d’inspecteur, spécialement
commissionnés à cet effet et assermentés conformément à la législation en
vigueur.
Il est important de noter que
l’infraction ne peut être constatée que lors d’un contrôle fiscal.
·
Identification du
responsable de l’infraction
Quel que soit le statut
juridique du contribuable, soit une personne physique ou morale, la peine
d’emprisonnement prévue ne peut être prononcée qu’à l’encontre :
*De la personne physique qui a
commis l’infraction ou à l’encontre de tout responsable, s’il est prouvé que
l’infraction a été commise sur ses instructions et avec son accord ;
*Et de toute personne
convaincue d’avoir participé à l’accomplissement des faits précités, assisté ou
conseillé les parties dans leur exécution en l’expert-comptable appelé à
accompagner la société dans l’accomplissement de ces déclarations périodiques.
·
Présentation de la
plainte à l’avis d’une « commission des infractions fiscales »
La plainte tendant à
l’application de sanctions prévues doit au préalable, être présentée par le
ministre des finances ou la personne déléguée par lui, à titre consultatif,
l’avis d’une commission des infractions.
Cette commission est présidée
par un magistrat et comprend deux représentants de l’administration fiscale et
deux représentants des contribuables choisis sur des listes présentées par les
organisations professionnelles les plus représentatives.
·
Saisie du procureur et
du Juge d’instruction
Après consultation de la
commission des infractions fiscales, le ministre des finances ou la personne
déléguée par lui à cet effet, peut saisir de la plainte tendant à l’application
des sanctions pénales prévues par le procureur compétent à raison du lieu de
l’infraction.
A son tour, le procureur doit
saisir de la plainte le juge d’instruction.
·
Solidarité fiscale
Le livre des procédures
fiscales a prévu un mécanisme basé sur la notion de solidarité entre les
dirigeants de la société et la personne morale lorsque cette dernière ne peut
plus faire face aux impositions dont elle a la charge.
Le dirigeant sera alors assigné
devant le tribunal par le comptable public aux fins de condamnation et il sera
redevable sur ses biens propres des impôts de la société non recouvrés
2) Le risque social
Dans le cadre de la gestion
quotidienne de l’entreprise, le code du travail met à la charge des dirigeants
un ensemble d’obligations légales de nature à éviter tout risque social.
En effet, le code du travail
responsabilise entièrement les dirigeants puisque la plupart des prescriptions
légales s’adressent à l’employeur et non à l’entreprise et sont assorties de
sanctions de nature pénale en cas de non-respect.
A cet égard l’importance de la
prise en compte du risque social dans la gestion de l’entreprise puisque la responsabilité
de l’employeur constitue une véritable contrepartie à son triple pouvoir à la
fois de direction, réglementaire et disciplinaire.
Ainsi, par exemple, en matière
d’hygiène et de sécurité, le code du travail prévoit
que « l’employeur doit veiller à ce que les locaux de travail soient
tenus dans un bon état de propreté et présenter les conditions d’hygiène et de
salubrité nécessaires à la santé des salariés », mettant ainsi à la charge
du dirigeant de multiples obligations sanctionnées par une amende.
De même une amende est prévue
en cas de violation des dispositions du code de travail relatives à la
procédure de licenciement pour motifs technologiques, structurels ou
économiques et à la fermeture d’entreprises.